Message de Mgr Robert Le Gall
Le Président de l’Assemblée nationale a introduit le discours du Premier ministre, le 28 avril dernier, en parlant de la vanité de notre monde et de sa fragilité, face à la pandémie qui, en quelques semaines, a pu arrêter la planète entière. Il nous invitait alors à une attitude d’humilité. Vanité, fragilité, humilité : ces paroles nous rejoignent, nous qui, comme tous les fidèles, venons de vivre d’une façon unique le Mystère pascal, au centre duquel « le Christ s’est abaissé, devenu obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix » (Ph 2, 8).
Comme nous y invitait l’évangile du mercredi des cendres, nous sommes entrés dans nos chambres pour prier notre Père qui voit dans le secret (Mt 6, 6). Les semaines passent et le confinement se fait plus pesant, mais j’ai le sentiment que nous avons su mettre à profit tout ce temps pour nourrir et développer une belle communion ecclésiale et nous mettre au service de tous nos frères.
De fait, nous avons continué à honorer à frais nouveaux les tria munera qui définissent la vie du Corps du Christ, dans le prolongement des trois fonctions initiées par Jésus lui-même : annoncer la foi, célébrer la foi, servir au nom de la foi, fonctions qui sont d’abord celles du Christ lui-même. C’est l’un des enseignements centraux du concile Vatican II, pour nourrir, développer et proposer notre communion venue de l’unité du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
Nous avons souffert de l’impossibilité de nous rassembler dans nos églises pour nos diverses célébrations, mais je salue l’inventivité tant des pasteurs que des fidèles pour trouver ou retrouver des façons de nourrir et d’exprimer une relation vivante avec Dieu en Église : célébrations familiales proposées ; partages plus approfondis de la Parole de Dieu et temps donné à la lecture, à la réflexion. Des célébrations audio- ou vidéo-diffusées ont été mises en place un peu partout, notamment pendant la Semaine sainte ; des contacts ont été maintenus et même développés entre prêtres, entre membres de nos communautés paroissiales ou autres. Les prêtres et les diacres ont été généreux dans l’accompagnement des familles en deuil et dans la célébration de nombreuses obsèques, tant dans nos églises qu’au funérarium, au crématorium et au cimetière.
Des activités catéchétiques ont pu se poursuivre dans les familles ; l’usage des médias a permis de continuer la formation à plusieurs niveaux et les pasteurs, avec les divers acteurs pastoraux, ont su nourrir leurs communautés. Il convient de ne pas oublier tous ceux qui sont isolés et ont besoin de la visite des paroissiens. La générosité s’est particulièrement déployée en faveur des plus démunis, grâce au Secours catholique en lien avec d’autres associations, pour la préparation, par exemple, de colis alimentaires destinés à des personnes seules ou sans-papiers que l’on allait rejoindre ; les paroisses et les familles se sont aussi engagées dans ce sens : je les remercie et les encourage. Nous savons que les besoins vont grandir, au moment où la situation économique et sociale se détériore gravement.
Nous voyons arriver avec soulagement le déconfinement qui s’amorce le lundi 11 mai, même si nous réalisons qu’il sera très progressif. Nous le savons : le confinement ne pouvait pas durer et il nous faut remettre en route nos activités, pour l’économie, pour notre équilibre humain, pour nos relations, avec toutes les précautions nécessaires. Avec grande prudence, nous aurions aimé, de la même façon, reprendre nos engagements : visiter les EHPAD, les prisons, les squats dans lesquels sont présents de nombreux migrants ; retrouver nos assemblées. Les religions ont toujours été un élément intégrant de la vie en société ; si l’État laïc ne se veut lié à aucune, il les reconnaît et même leur assure le droit d’un exercice public du culte. Malheureusement, pour le moment, cela n’est pas possible ; je le regrette.
Avec peine, je perçois que la société, assez solidaire dans le confinement et autour de nos héroïques équipes soignantes, aborde un déconfinement objectivement compliqué avec angoisse et nervosité. Je vois que le tissu ecclésial lui-même se tend ou se distend ; dans une situation difficile, les justes décisions ne peuvent pas apparaître tout de suite. Aussi j’appelle chacune et chacun à faire preuve de patience et de compréhension, de respect et de calme. Il va nous falloir tous faire preuve de patience pour une reprise progressive : écoles, familles, travail plus compliqué, télétravail, relations à faire revivre autrement. Je compte sur vous pour contribuer avec finesse et détermination à cette mutation que nous ne pouvons pas éluder. La vie va reprendre différemment, chacun d’entre nous à sa place à prendre et sa carte à jouer. Je souhaite à chacun d’entre vous bon courage pour ces moments encore difficiles et incertains, mais qui sollicitent d’autant plus le dynamisme et l’espérance du corps ecclésial en tous ses membres, avec toutes « les articulations qui le maintiennent » (Ep 4, 16).
Nous avons besoin de nous revoir, de nous parler, de tirer ensemble les leçons de cette période à nulle autre pareille. À cet effet, j’encourage la mise en place, déjà commencée ici et là, de groupes de paroles qui permettent d’échanger sur nos expériences, nos questionnements, pour mieux préparer l’avenir, comme ont commencé de le faire nos fraternités missionnaires. Ceci est d’autant plus nécessaire que les conséquences de la pandémie se feront sentir longtemps et qu’il nous faudra développer la grâce de l’unité dans la diversité, « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».
Notre monde a changé. Avons-nous changé ? Sommes-nous prêts à changer ? Il nous faut voir en effet comment prendre notre place dans l’avènement d’un monde à bâtir sur des bases autres, dans la suite de nos engagements pour une écologie humaine intégrale. Le pape François avait invité pour trois jours fin mars à Assise deux milliers de jeunes engagés dans les affaires, pour les inviter à choisir entre « une économie de l’égoïsme et une économie du don de soi ». « J’ai pensé à vous inviter spécialement les jeunes, écrivait-il le 1er mai 2019, car, avec votre désir d’un avenir beau et joyeux, vous êtes déjà la prophétie d’une économie soucieuse de la personne et de l’environnement ».
Prions le Saint-Esprit, à l’approche de la Pentecôte, pour qu’il nous enseigne de l’intérieur, en faveur de cette Maison commune qu’est le monde malade, cet humanisme intégral que nous révèle le Christ mort et ressuscité et qui se reflète sur le visage de nos frères. Nous nous confions à la Vierge immaculée apparue dans notre Province à Lourdes, dans la simplicité de cette piété populaire, si précieuse à l’Église. Alleluia !
+ fr. Robert Le Gall,
Archevêque de Toulouse
Mercredi 6 mai 2020