La grâce du désert

Publié le par Ensemble paroissial Pibrac et Brax

La grâce du désert

 

 

La grâce du désert

 

 

 

 

De nombreux évêques voulaient reprendre au plus vite le culte dans les églises, certains déplorant que les chrétiens ne sauraient trop longtemps être ‘privés de sacrements’. Je pense que ce temps prolongé de jeûne liturgique est en réalité une chance ou, plutôt, une grâce. Non pas pour attiser notre soif de retrouver rapidement une liturgie ‘comme avant’, mais pour une raison, me semble-t-il, bien plus profonde. Ce temps, je l’espère, peut nous réveiller, nous éviter de simplement revenir ‘comme avant’ et nous inciter peut-être à inventer du neuf’.

 

Tout d’abord, sommes-nous vraiment ‘privés de sacrements’ ? Qu’est-ce que le ‘sacrement’ sinon le signe et le chemin de Dieu vers nous et de nous vers Dieu ? Or, quel est ce signe et quel chemin nous ouvre-t-il ? La réponse paraît claire : c’est l’autre, ce sont les humains qui nous entourent. Ne sommes-nous pas créés ‘à l’image de Dieu’ comme il est écrit à la première page de la Bible ? Le ‘sacrement’ de Dieu est donc là, tous les jours, à notre portée : ma voisine, mon époux, tous ceux qui sont en ce moment à notre chevet, éboueurs, infirmières, médecins, et aussi les malades et tous ceux qui ont peur… Oui, c’est bien l’autre qui est le chemin de Dieu vers nous et notre chemin vers Lui. N’est-ce pas d’ailleurs la raison du commandement suprême : ‘Aime Dieu… aime ton prochain’, deux commandements semblables qui se rejoignent ? Et encore : ‘Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait’. Nous ne sommes pas en pénurie de sacrements.

 

Les ‘sept sacrements’ liturgiques ne doivent pas être compris comme des moments sacralisés de la rencontre avec Dieu. Tous les ‘sept’, chiffre de la perfection, embrassent en réalité la vie entière des hommes, de la naissance à la mort et dans tous leurs états. Les rites liturgiques sont là pour nous rappeler que c’est bien tout l’homme, à tous les moments et dans toutes les circonstances de sa vie, qui est ‘Sacrement’ de Dieu. N’ayons donc pas peur, nous ne sommes pas ‘privés’ de sacrements, le Sacrement de Dieu est toujours là, devant moi, dans chaque personne que je rencontre. Que nous soyons ‘privés’ des expressions rituelles de ce Sacrement fondamental devrait nous amener à comprendre ce que nous appelons ‘les sacrements’ non comme des moments à côté du reste de la vie, mais comme des rappels que le ‘Sacrement’ fondamental c’est l’autre, c’est l’humanité dans toute sa réalité. La liturgie est là pour nous le rappeler, pas pour s’y substituer. Quand les rites font défaut pour une raison ou pour une autre (confinement, manque de prêtres, isolement…) le Sacrement qu’est l’autre n’est pas pour autant aboli.

 

Cette réflexion sur Le Sacrement devrait nous conduire à nous interroger sur les moyens de l’exprimer dans la liturgie de manière pertinente et accessible à tous, à commencer par les ‘petits’. N’oublions pas l’adage traditionnel de nos théologiens selon lequel les sacrements, comme le sabbat, sont faits pour l’homme (sacramenta propter hominem) et non l’homme pour les sacrements. La crise mondiale actuelle appelle surtout la communauté chrétienne toute entière à se rappeler sa raison d’être qui est d’annoncer la réalité merveilleuse que l’homme, tout homme, est image de Dieu, chemin de Dieu vers nous et de nous vers Lui, et d’en témoigner dans toute sa vie communautaire et individuelle. Dans l’épreuve que nous traversons cette bonne nouvelle nous est rappelée aujourd’hui par l’immense déploiement d’amour à travers notre grand monde de toutes croyances et incroyances mêlées, ce monde rêvé et réel que nous applaudissons chaque jour. La disette liturgique actuelle peut ainsi être vécue comme une grâce, à la condition bien entendu que notre communauté chrétienne se laisse évangéliser par des voix venues de loin. Oui, c’est de Galilée, loin des églises et de ses parvis, que Jésus nous appelle et c’est là qu’il nous donne rendez-vous. Saurons-nous l’entendre et oser l’avenir ?

 

Jean L’Hour, prêtre des Missions Etrangères de Paris

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